-Bon, arrête de rêvasser et pousse-moi ce conteneur jusqu’à la salle de tri. Et fais moi le plaisir de pas rentrer dans les murs, tu risquerais d’me les casser.
Ouais, enfin, ce sont des poubelles hein. Pas une machine de dernier cri supposée révolutionner l’industrie Shinra. Kale, l’homme qui me supervise pour cette première journée de représailles est assez typé chef de chantier. Il porte un casque, même quand il n’en a pas besoin, même entre les quatre murs d’un couloir étroit. Il est un peu bedonnant et assez rustre. Il est aussi visiblement ravi d’avoir quelqu’un comme moi pour faire les basses besognes aujourd’hui.
Je suis simplement déterminée à être irréprochable, même en de pareilles conditions. Le visage de Scarlett est bien accroché dans mon esprit, celui qu’elle pourrait faire si je m’avisais de décevoir une dernière fois le Président. Car il n’y aura pas d’autre chance, n’est-ce pas ? Bref, il est hors de question que je me fasse écraser une fois de plus par sa majesté-en-escarpins. Et tant pis si je dois porter la combinaison de travail la moins seyante, et tant pis si je dois sentir le déchet à la fin de cette journée. Je pousse mon conteneur. J’arrive dans une pente, et la corvée devient tout à coup plus évidente. Kale est toujours derrière moi et il me houspille.
-Fais gaffe, fais gaffe je te dis, tu vas me le rayer !
Sentant que je perds le contrôle du bolide, je tire de toutes mes forces sur les poignées, poussant sur mes pieds, pour l’empêcher d’aller s’écraser sur le mur en face, juste à côté de la porte qui mène au grand hangar. J’y parviens au dernier moment, et Kale ne manque pas une occasion de me faire une remarque misogyne. Remarque à laquelle je n’entends pas grand-chose, peu concernée évidemment.
Quand nous entrons dans le hangar, je suis forcée de regarder tout autour de moi. Ça a beau n’être que des déchets, le spectacle est stupéfiant. Nous sommes entourés d’immenses montagnes de déchets en tous genres triés par types, métaux, plastiques, carcasses de vaisseaux sciées, textiles, matériaux électroniques, papiers, cartons.
A plusieurs endroits j’aperçois de grands conduits déverser en permanence tous les déchets que le Vaisseau-Mère produit à chaque instant. Les quantités sont absolument pharaoniques. Il y a également de nombreux incinérateurs, broyeurs, déchiqueteurs, puis des accès vers des SAS qui donnent certainement accès au vide sidéral dans lequel une partie des déchets non recyclés doit atterrir.
Kale s’éloigne un peu et s’en va discuter avec un homme qui conduit un camion pelleteuse non loin de là. Je me dis que ce n’est pas plus mal si je gagne un peu de temps de tranquillité ainsi et m’apprête à me mettre à part quand j’aperçois une étrange petite chose non loin de moi.
Cela fait environ un mètre vingt de haut, ça a des yeux animés en forme de jumelles, deux chenilles de part et d’autre pour se déplacer, deux petits bras en forme de pinces. Il est en train d’essayer d’extraire un objet coincé sous la montagne de vieux engins obsolètes. C’est un écran d’un autre temps, assez épais. Je l’observe tirer de toutes ses forces, faisant chauffer son moteur, tandis que la pile d’objet le surplombant commence à trembler que d’autres objets se mettent à dégringoler autour de lui.
-Attends, Wall-E, je vais t’aider !
Un homme passe juste à côté de moi et accourt à l’aide de ce que je suspecte être son ami robot. Il se met à essayer d’extraire lui aussi l’écran puis se tourne vers moi.
-Tu pourrais venir filer un coup de main ?
J’hésite quelques instants, puis me rappelant des consignes qui m’ont été données, je hausse les épaules, les rejoins et me mets à tirer à mon tour l’objet. Quand nous finissons par réussir à l’extraire, une petite avalanche se déclenche. Tandis que je tombe en dessous de la pile, je vois le jeune homme essayer d’empêcher les plus gros objets de tomber, le petit robot lui, est déjà en train de s’en aller en faisant traîner l’écran à terre.
-Salut, je m’appelle Lionel.
Il me tend une main pour m’aider à me relever.
-Nina.
-Je ne t’ai jamais vue dans le coin Nina.
-Normal, c’est ma punition.
-Ah. Bah, moi c’est mon boulot.
Il n’a pas l’air de s’en porter spécialement mal. Il semble plutôt satisfait et ne tire a priori aucune honte de son occupation dans la grande machine tournante qu’est ce monde artificiel, le Vaisseau-Mère.
Je redirige mon attention vers le dénommé Wall-E.
-Il est marrant, hein ?
-Euh… je suppose. C’est quoi son problème ?
-C’est un peu notre mascotte.
-Ah donc il ne sert à…
-Non, pas vraiment. Enfin, à la base, le projet Wall-E devait être un mega gros projet d’envergure, un truc pour la gestion des déchets, développé par la Shinra pour éviter l’encombrement de nos mondes, mais finalement, ils ont préféré voir plus grand.
Il m’indique toutes les machines qui nous entourent, tout simplement colossales si on les compare à ce petit robot inoffensif.
-Du coup, ils en ont fait une centaine, pour faire l’expérience, et la plupart sont tombés en désuétude, au fur et à mesure, puis en panne, et on les a jamais réparés. Sauf celui-là.
-Qu’est-ce qu’il a de particulier ?
-J’en sais rien, c’est comme si…
-Comme si ?
-Bah comme si ce petit machin avait engrangé au fil des années toute une panoplie de souvenirs et qu’il les associait à…
-Des émotions ?
-Ouais, c’est ça. Un peu comme s’il avait un coeur quoi. Viens, je vais te montrer.
Lionel m’emmène avec lui, nous passons entre les montagnes de déchets, nous enfonçant dans le vaste hangar, passant à côté des fours dont la chaleur nous échauffe la peau. Au bout d’un moment j’aperçois Wall-e monter sur une rampe et disparaître dans un grand conteneur. Nous le rejoignons et je découvre l’intérieur.
-Voilà, c’est son antre.
Je me glisse à l’intérieur. Il y a assez peu de place. Lionel doit même se baisser pour ne pas cogner contre les objets suspendus en hauteur. De tous les côtés il y a des souvenirs, des appareils, des outils de toute utilité, rangés, triés. Wall-E se met à installer son écran à côté de ceux qu’il possède déjà et le branche puis le relie à un autre appareil. Il essaie alors de l’allumer mais le téléviseur ne semble pas réagir. Le robot émet alors un son, comme un petit cri de désespoir et affiche une mine défaite. Puis ne s’avouant pas vaincu, il se met alors à dévisser l’arrière et à ouvrir le dispositif pour pouvoir le réparer.
-Tu vas voir, il est doué.
L’endroit, en plus d’être bien rangé, dénote d’un certain esthétisme, loin de la rigueur que l’on pourrait attendre d’un robot cartésien. Non, il a décoré le lieu, c’est évident. C’est chez lui.
-Et donc, tu crois qu’il ressent quelque chose pour tous ces objets ?
Lionel réfléchit quelques instants. Il semble soucieux à l’idée que je puisse croire qu’il est naïf ou simplement fou.
-Ouais, moi je le pense en tout cas, c’est pas le cas de toute le monde par contre. La plupart du temps, ses journées il les passe à faire des petits cubes de déchets compactés. Mais quand il trouve un objet spécial, il a souvent ce truc, ce feeling qui lui dit qu’il peut en faire quelque chose, malgré tout. Trouver de l’utilité là où les gens ne voient rien d’autre qu’un vieux truc dépassé.
Serait-ce donc une simple manifestation d’un algorithme étudié pour faire durer les choses et ralentir la course à la consommation ? Difficile à croire venant de la part de la Shinra. Ou bien doit-on cet étrange phénomène à un concepteur idéaliste. Dernière possibilité, cette intelligence a développé des sentiments tels que l’attachement et le goût des choses.
-Ah et il adore regarder des vieux films aussi. Des trucs vraiment classiques et fleur bleue. Quand il les met, on dirait que le reste du monde n’existe plus. Je sais pas combien de fois j’ai entendu ces vieilles chansons tourner.
Wall-e se tourne alors vers nous et avance vers moi. Puis il prend mes doigts dans sa pince avec une certaine délicatesse et m’emmène le plus simplement du monde devant son écran. Il me fait un geste pour me demander de m’asseoir, ce que je fais sans protester, plutôt curieuse, en vérité.
Puis il allume l’écran et fait entrer une cassette dans une de ses vieilles machines puis tape dans ses mains au moment où la musique abimée par le temps et les nombreux visionnages retentit. Il tourne la « tête » vers moi et semble attendre de moi autant d’enthousiasme.
-Je crois qu’il t’aime bien, Nina.
Ouais, enfin, ce sont des poubelles hein. Pas une machine de dernier cri supposée révolutionner l’industrie Shinra. Kale, l’homme qui me supervise pour cette première journée de représailles est assez typé chef de chantier. Il porte un casque, même quand il n’en a pas besoin, même entre les quatre murs d’un couloir étroit. Il est un peu bedonnant et assez rustre. Il est aussi visiblement ravi d’avoir quelqu’un comme moi pour faire les basses besognes aujourd’hui.
Je suis simplement déterminée à être irréprochable, même en de pareilles conditions. Le visage de Scarlett est bien accroché dans mon esprit, celui qu’elle pourrait faire si je m’avisais de décevoir une dernière fois le Président. Car il n’y aura pas d’autre chance, n’est-ce pas ? Bref, il est hors de question que je me fasse écraser une fois de plus par sa majesté-en-escarpins. Et tant pis si je dois porter la combinaison de travail la moins seyante, et tant pis si je dois sentir le déchet à la fin de cette journée. Je pousse mon conteneur. J’arrive dans une pente, et la corvée devient tout à coup plus évidente. Kale est toujours derrière moi et il me houspille.
-Fais gaffe, fais gaffe je te dis, tu vas me le rayer !
Sentant que je perds le contrôle du bolide, je tire de toutes mes forces sur les poignées, poussant sur mes pieds, pour l’empêcher d’aller s’écraser sur le mur en face, juste à côté de la porte qui mène au grand hangar. J’y parviens au dernier moment, et Kale ne manque pas une occasion de me faire une remarque misogyne. Remarque à laquelle je n’entends pas grand-chose, peu concernée évidemment.
Quand nous entrons dans le hangar, je suis forcée de regarder tout autour de moi. Ça a beau n’être que des déchets, le spectacle est stupéfiant. Nous sommes entourés d’immenses montagnes de déchets en tous genres triés par types, métaux, plastiques, carcasses de vaisseaux sciées, textiles, matériaux électroniques, papiers, cartons.
A plusieurs endroits j’aperçois de grands conduits déverser en permanence tous les déchets que le Vaisseau-Mère produit à chaque instant. Les quantités sont absolument pharaoniques. Il y a également de nombreux incinérateurs, broyeurs, déchiqueteurs, puis des accès vers des SAS qui donnent certainement accès au vide sidéral dans lequel une partie des déchets non recyclés doit atterrir.
Kale s’éloigne un peu et s’en va discuter avec un homme qui conduit un camion pelleteuse non loin de là. Je me dis que ce n’est pas plus mal si je gagne un peu de temps de tranquillité ainsi et m’apprête à me mettre à part quand j’aperçois une étrange petite chose non loin de moi.
Cela fait environ un mètre vingt de haut, ça a des yeux animés en forme de jumelles, deux chenilles de part et d’autre pour se déplacer, deux petits bras en forme de pinces. Il est en train d’essayer d’extraire un objet coincé sous la montagne de vieux engins obsolètes. C’est un écran d’un autre temps, assez épais. Je l’observe tirer de toutes ses forces, faisant chauffer son moteur, tandis que la pile d’objet le surplombant commence à trembler que d’autres objets se mettent à dégringoler autour de lui.
-Attends, Wall-E, je vais t’aider !
Un homme passe juste à côté de moi et accourt à l’aide de ce que je suspecte être son ami robot. Il se met à essayer d’extraire lui aussi l’écran puis se tourne vers moi.
-Tu pourrais venir filer un coup de main ?
J’hésite quelques instants, puis me rappelant des consignes qui m’ont été données, je hausse les épaules, les rejoins et me mets à tirer à mon tour l’objet. Quand nous finissons par réussir à l’extraire, une petite avalanche se déclenche. Tandis que je tombe en dessous de la pile, je vois le jeune homme essayer d’empêcher les plus gros objets de tomber, le petit robot lui, est déjà en train de s’en aller en faisant traîner l’écran à terre.
-Salut, je m’appelle Lionel.
Il me tend une main pour m’aider à me relever.
-Nina.
-Je ne t’ai jamais vue dans le coin Nina.
-Normal, c’est ma punition.
-Ah. Bah, moi c’est mon boulot.
Il n’a pas l’air de s’en porter spécialement mal. Il semble plutôt satisfait et ne tire a priori aucune honte de son occupation dans la grande machine tournante qu’est ce monde artificiel, le Vaisseau-Mère.
Je redirige mon attention vers le dénommé Wall-E.
-Il est marrant, hein ?
-Euh… je suppose. C’est quoi son problème ?
-C’est un peu notre mascotte.
-Ah donc il ne sert à…
-Non, pas vraiment. Enfin, à la base, le projet Wall-E devait être un mega gros projet d’envergure, un truc pour la gestion des déchets, développé par la Shinra pour éviter l’encombrement de nos mondes, mais finalement, ils ont préféré voir plus grand.
Il m’indique toutes les machines qui nous entourent, tout simplement colossales si on les compare à ce petit robot inoffensif.
-Du coup, ils en ont fait une centaine, pour faire l’expérience, et la plupart sont tombés en désuétude, au fur et à mesure, puis en panne, et on les a jamais réparés. Sauf celui-là.
-Qu’est-ce qu’il a de particulier ?
-J’en sais rien, c’est comme si…
-Comme si ?
-Bah comme si ce petit machin avait engrangé au fil des années toute une panoplie de souvenirs et qu’il les associait à…
-Des émotions ?
-Ouais, c’est ça. Un peu comme s’il avait un coeur quoi. Viens, je vais te montrer.
Lionel m’emmène avec lui, nous passons entre les montagnes de déchets, nous enfonçant dans le vaste hangar, passant à côté des fours dont la chaleur nous échauffe la peau. Au bout d’un moment j’aperçois Wall-e monter sur une rampe et disparaître dans un grand conteneur. Nous le rejoignons et je découvre l’intérieur.
-Voilà, c’est son antre.
Je me glisse à l’intérieur. Il y a assez peu de place. Lionel doit même se baisser pour ne pas cogner contre les objets suspendus en hauteur. De tous les côtés il y a des souvenirs, des appareils, des outils de toute utilité, rangés, triés. Wall-E se met à installer son écran à côté de ceux qu’il possède déjà et le branche puis le relie à un autre appareil. Il essaie alors de l’allumer mais le téléviseur ne semble pas réagir. Le robot émet alors un son, comme un petit cri de désespoir et affiche une mine défaite. Puis ne s’avouant pas vaincu, il se met alors à dévisser l’arrière et à ouvrir le dispositif pour pouvoir le réparer.
-Tu vas voir, il est doué.
L’endroit, en plus d’être bien rangé, dénote d’un certain esthétisme, loin de la rigueur que l’on pourrait attendre d’un robot cartésien. Non, il a décoré le lieu, c’est évident. C’est chez lui.
-Et donc, tu crois qu’il ressent quelque chose pour tous ces objets ?
Lionel réfléchit quelques instants. Il semble soucieux à l’idée que je puisse croire qu’il est naïf ou simplement fou.
-Ouais, moi je le pense en tout cas, c’est pas le cas de toute le monde par contre. La plupart du temps, ses journées il les passe à faire des petits cubes de déchets compactés. Mais quand il trouve un objet spécial, il a souvent ce truc, ce feeling qui lui dit qu’il peut en faire quelque chose, malgré tout. Trouver de l’utilité là où les gens ne voient rien d’autre qu’un vieux truc dépassé.
Serait-ce donc une simple manifestation d’un algorithme étudié pour faire durer les choses et ralentir la course à la consommation ? Difficile à croire venant de la part de la Shinra. Ou bien doit-on cet étrange phénomène à un concepteur idéaliste. Dernière possibilité, cette intelligence a développé des sentiments tels que l’attachement et le goût des choses.
-Ah et il adore regarder des vieux films aussi. Des trucs vraiment classiques et fleur bleue. Quand il les met, on dirait que le reste du monde n’existe plus. Je sais pas combien de fois j’ai entendu ces vieilles chansons tourner.
Wall-e se tourne alors vers nous et avance vers moi. Puis il prend mes doigts dans sa pince avec une certaine délicatesse et m’emmène le plus simplement du monde devant son écran. Il me fait un geste pour me demander de m’asseoir, ce que je fais sans protester, plutôt curieuse, en vérité.
Puis il allume l’écran et fait entrer une cassette dans une de ses vieilles machines puis tape dans ses mains au moment où la musique abimée par le temps et les nombreux visionnages retentit. Il tourne la « tête » vers moi et semble attendre de moi autant d’enthousiasme.
-Je crois qu’il t’aime bien, Nina.