Toujours personne.
Les heures et les jours se succèdaient, sans personne ne daignent ouvrir sa cellule. Pas d’interrogatoire, pas de monologue, pas même un regard de mépris…
Parfois, Naran en venait à croire que c’était sa seule imagination qui fabulait la présence régulière, invisible derrière son miroir.
“Et parfois, j’en viens à parler à mon propre reflet.”
En face d’elle, la surface noire la fixait, regard vide.
“Tu sais ce que tu aurais dû faire ? Ignorer Lenore, et ignorer ses stupides rêves de vengeance.”
Son reflet s’était levé, s’était approché - reproduisant chacun de ses mouvements.
“Parce qu’après tout, qu’est ce qu’il m’avait fait à moi, Death?”
La figure noire leva le menton, sourcils froncés.
“J’ai toujours tout mes doigts, moi.”
Une main, intacte si ce n’est quelques coupures, fut brandie devant elle.
“Et qu’est ce que j’en avait à cirer, de ses petits nobliaux du Palais des Rêves? Ils peuvent bien tous crever!”
Une gesture vulgaire, plus expiatoire qu’autre chose, lui répondit.
“J’aime bien les Mercenaires. Mais, d’ici, j’vois pas en quoi je sert la cause… Ce vaisseaux doit être à des milliers de kilomètre de Port Royal, et je me tourne les pouces pendant que les autres profitent du butin!”
Deux poings, serrés, pendaient aux hanches de son reflet.
“Svetlana, je la connaissait pas. C’était avant mon arrivée, tout ça. Pourquoi aller la venger, elle ? Qu’est ce que j’y pouvais ?”
L’ombre qui lui faisait face levait les bras au ciel, imitant sa frustration, ses pas emportés, sa colère vite étouffée.
“Pourquoi j’ai suivi Lenore ici…”
L’ombre se laissa tomber au sol, miroitant son effondrement.
Se recroquevillant à quelques centimètres du miroir, Naran souffla à son reflet:
“J’ai pensé qu’elle était morte, tu sais.”
La figure noire renifla, imitant son geste sans en produire le son.
“Puis je me suis dis que, la connaissant, c’était peu probable.”
Haussement des épaules faces à elle.
“Elle serait du genre à négocier avec la Mort, à gagner sa survie au jeu, et un petit pactole de munnies en sus... ”
Son reflet sourit tristement.
“Mais si elle est vivante, faudra qu’on m’explique pourquoi elle me laisse moisir ici !”
Un rictus lui faisait face. Sombre, presque informe. Mais Naran vit ses traits se détendre, et sa colère se transformer en lassitude.
“La plage me manque.”
La mercenaire s’assit plus confortablement, collant ses pieds au miroir.
“J'aurais penser rêver de la steppe, de galop… Mais là ce dont je rêve c’est d’enfoncer mes doigts de pieds dans le sable chaud.”
Ces derniers, dédoublés dans le miroir, bougeaient doucement contre le verre glacé.
“Et du petit verre de rhum, les soirs de forte chaleur… Quand tout Port Royal se retrouvait dans les tripots pour partager les ragots et régler les disputes.”
Un soupir, et Naran frottait ses mains endolories par ses exercices réguliers.
Conspiratrice, la Mercenaire murmura à son reflet : “Tu imagine, qu’ils me gardent enfermée ici pour me rendre folle ?”
Elle leva les yeux vers le plafond métallique.
“Moi j’y pense. Après tout, j’en suis au point de te parler, à toi.”
Son double la désigne, dédaigneux.
La main de son ombre se figea.
“Au point d’imaginer des choses…”
Naran louchait à présent sur ses orteils, d’où s’échappait quelques grains de sable.