Je fais encore ce cauchemar. Je suis dans ma chambre dans le Vaisseau-Mère, seule. D’une manière ou d’une autre, je suis entraînée en dehors de ma chambre dans le couloir. Il fait sombre, malgré les quelques lumières du vaisseau. Certaines lumières crépitent, d’autres clignotent pour une raison que j’ignore. Je sens encore cette présence. Cette présence qui se cache dans le couloir. Elle joue avec moi, elle m’attire mais je la crains. Elle cherche à m’étreindre de peur, elle y arrive partiellement. Avez-vous déjà eu un tel rêve ? Je m’éloigne dans le couloir, à la recherche de l’entité qui hante mes nuits. Il n’y a personne d’autre, seuls les bruits étranges du Vaisseau-Mère me permettent de dire que je suis bien dedans. Comment être sûr de ce qu’on le rêve ou pas ? Je la sens encore autour de moi. Elle tourne autour de moi, elle me murmure des mots que je ne comprends pas. J’avance dans des couloirs de plus en plus sombre. L’obscurité ne me fait pas peur, c’est ce qu’il y a dedans qui me trouble. Je parcours le quartier-général de la Shin-Ra comme un fantôme, hantant les lieux de ma présence. Je continue de chercher, je ne sais pas pourquoi. Ou je ne sais plus. Je me perds un moment dans une salle sombre, j’essaye d’en sortir. Je ne panique pas, c’est étrange. J’erre dans les ténèbres, cherchant une voie de sortie. Soudain, je retrouve un couloir, et j’aperçois une forme.
Une forme que je devine humanoïde, dissimulée dans un nuage de fumées noires. Je sors mon fouet éthérique et je me mets à courir. J’ai peur, je l’ai vu. Il a suffisamment confiance pour se montrer à moi cette fois. Nulle ne peut échapper à la mort. Nous sommes dans un rêve, et mon cerveau me le rappelle cruellement : je passe d’une extrême assurance à une crainte. Qu’est-ce que je vais perdre ? Je stoppe ma course. Je sens encore la présence, qui semble attendre. Mais qu’est-ce qu’elle attend ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Je n’ai pas la force ou l’envie de parler. La vie est une succession de choix, mais si je me refuse de faire celui-ci, que va t-il m’arriver ? Je n’ai pas le choix, je recule… L’ombre avance de nouveau vers moi, les rôles sont inversés. Je suis la proie, elle est le prédateur. Je cours vers ma chambre. Je ne regarde pas derrière moi. Je trébuche dans un couloir étroit, je m’effondre par terre. L’ombre se jette sur moi. Je crie. J’hurle de toutes mes forces ! Je ne vois rien, je ne ressens que de la peur.
Et alors que je sombre dans une terreur sans nom, j’entends distinctement ces mots dits dans une voix que je ne connais guère :
« L’abîme appelle l’abîme. De la lumière jaillit l’ombre. Ce que l’on possède dissimule la vérité. Ce que tu as perdu, tu le retrouveras mais le prix des secrets, tu paieras. Les fleurs ne s’épanouissent qu’au détriment des autres. »
Je me réveille brusquement dans mon lit, en sueurs. Qu’est-ce que tout ceci signifie ? Je passe une main sur mon visage, je me calme progressivement. Je décide de me lever. Je vais dans ma petite salle de bains pour me nettoyer. Je rentre dans la douche. Je reste un moment-là, appuyée sur la paroi, à laisser l’eau chaude coulée le long de mon corps. Je réfléchis à ce que je viens de vivre dans mon rêve. Tout est confus, je ne retiens que ces étranges mots. Pas le temps de niaiser, je dois aller au travail, malgré ce rêve qui se répète inlassablement à intervalles irrégulières. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour recevoir cette étrange, voir terrifiante, visite ? Je sors de la douche et je me prépare. Je me sèche les cheveux, je m’habille et je me maquille. J’essaye d’oublier ma fin de nuit difficile. Aujourd’hui, je ne suis pas sur le terrain, je suis au bureau. Je m’habille en conséquence : nous avons tous un uniforme selon nos grades, nos positions, nos emplois. Pour moi, c’est tenue noire. Pour d’autres c’est blanc, d’autres ont une dérogation. Je n’ai pas eu le cœur de demander une dérogation encore, je n’en vois pas l’intérêt, je suis régulièrement sur le terrain après tout. Je n’oublie cependant pas d’afficher mes origines en mettant dans mes cheveux une belle broche en or stylisée et en mettant en avant quelques bijoux de Chine. Notamment un collier en jade, un bracelet en or avec trois rubis incrustés et une bague ayant la forme d’une griffe en or. C’est très à la mode pour les femmes de la haute société chinoise d’avoir ce genre de griffe à l’un de leurs doigts, habituellement l’index. Mine de rien cela fait un bon coupe-papier pour ouvrir le courrier. Je sors de ma cabine et me dirige vers l’étage numéro six.
C’est là où il y a mon bureau. C’est l’aube d’une nouvelle journée de travail et je vois déjà une foule de personnels, de SOLDATS et d’autres individus étranges circuler dans le vaisseau. L’effervescence au sein du Vaisseau-Mère montre la puissante de notre organisation. Je ne connais pas beaucoup de gens encore dans le Vaisseau-Mère, et en même temps il est si immense qu’il est presque impossible de croiser quelqu’un que l’on connaît ici. Je prends un ascenseur. Nous entrons à dix dedans : un homme-poule de la Forêt de Sherwood j’imagine, cinq humains qui ont l’air de venir d’Illusiopolis de ce que j’entends de leur conversation qui porte sur ma poitrine et mes fesses, une espèce de robot qui parle, une grande dame avec les cheveux très courts qui a un air très froid et des traits très masculins et enfin deux secrétaires de Monsieur le Président que j’identifie immédiatement de part leur faible intelligence apparente. Et nous voilà partis pour quelques instants ensemble vers un autre étage. Je remarque que la grande dame blonde a une insigne des Soldats sur elle. Elle n’a pas l’air d’avoir aussi peu d’expérience que Gunther ou Yijun, donc je dirai qu’elle doit être au moins de classe 2. Je n’ai pas le temps de creuser plus longtemps mon analyse, les portes s’ouvrent et je dois sortir à cet étage. Je fais encore un petit bout de chemin pour enfin passer le sas où je rentre mon code personnel et mon code secret pour déverrouiller l’entrée du bureau.
« Accès accepté. » dit la voix robotique enregistrée dans le logiciel des codes.
« Encore heureux. » dis-je, méprisante.
Le bureau est constitué d’un open space où les sous-gradés de l’administration font leurs petites besognes tandis qu’au fond de l’étage se trouve les bureaux fermés et privés des personnes un peu plus importantes. L’étage est conçu de telle manière que les haut-gradés passent devant tout le petit personnel. Certainement pour affirmer leur autorité, d’une manière ou d’une autre. Mon passage est souvent remarqué, principalement car je ne suis là que rarement et que donc si je suis là aujourd’hui, cela veut dire qu’il va y avoir quelques licenciements pour incompétences. Je traverse tout l’étage, sous le regard indiscret des larbins de l’étage qui savent qu’ils vont prendre chère aujourd’hui. En effet, ma journée est assez chargée, je ne sais même pas si je pourrai déjeuner à midi. Je ne suis pas contre rater certains repas au Vaisseau-Mère, la nourriture est si infâme que je préfère ne rien avaler. Si je veux manger correctement ici il faut commander des repas spéciaux aux cuisiniers qui déduisent le repas de votre salaire. Seuls les très haut-gradés de l’administration peuvent se permettre cela sans payer de leurs poches. Je traverse un nouveau couloir pour arriver devant une porte. Le Bureau 66. J’ai spécialement demandé celui-ci car le chiffre six est un porte-bonheur en Chine. Je rentre de nouveau mon code personnel, mon code secret et nouveauté sécuritaire de la Shin-Ra je dois placer mon œil devant une sorte d’appareil qui regarde si je suis bien moi-même ou pas. C’est formidable la technologie. La porte se déverrouille et je contemple un peu la pièce : le tout est très contemporain, très Illusiopolis mais en plus propre et plus évolué en un sens. Un large bureau blanc dans une matière que je n’identifie pas, une large chaise très confortable en cuir, un « ordinateur » comme il l’appelle, des chaises moyennement confortables pour les gens que je reçois, une table basse avec un grand canapé noir aussi. C’est sympathique. Pas de fenêtres, pas de points de lumière en-dehors des lampes au plafond. Parcontre j’ai une sorte de mur sur lequel je peux projeter des images et ainsi rompre l’ « enfermement » de la pièce. Habituellement, je projette une image des montagnes de ma région d’origine, le Sichuan. Cela me détend de voir ces majestueuses montagnes s’élever dans les airs, recouvertes de verdures et de temples taoïstes.
Je m’assois sur ma chaise et j’ouvre l’agenda de mon « ordinateur » : je n’ai jamais compris pourquoi ils appellent cette boîte de métal et d’images comme ça. Alors : mon premier rendez-vous est à 8h30 en salle de réunion. J’enchaîne ensuite sur trois rendez-vous individuels, et après des réunions toute l’après-midi. Je devrais finir vers 19h, au minimum. Je regarde l’horloge sur le mur : 7h50. J’ai encore un peu de marge. Je sors quelques papiers, deux stylos à plume. Je vérifie que les cartouches d’encre sont bien remplies. J’aime terroriser mes subordonnés. Avec le temps et au gré de mes missions, j’ai appris que la peur est le sentiment primaire de tout être. Les employés de la Shin-Ra sont des gens simples : ils sont là pour leur salaire, pas par amour du Président. Si vous éliminez les éléments faibles, ceux qui restent travailleront mieux. Ma méthode pour diriger mon équipe n’est pas appréciée par tous, je le sais. En attendant, ce sont mes dossiers qui sont mieux traités que les autres. Ça lui apprendra à Caroline, cette vieille harpie de bureau qui n’a jamais apprécié mes compétences de terrain sans compter ma progression rapide au sein de la hiérarchie. Caroline est une des personnes qui gère l’administratif au sein de la Shin-Ra, un peu comme moi, mais dans des domaines plus civils et de moindre importance : d’où sa jalousie. Elle pense être meilleure que moi quand la réalité est toute autre : je ne fais pas le même travail qu’elle. Après la mise au point, j’embarque différents dossiers, je verrouille la porte et je me dirige vers une salle de réunion. Je suis la première arrivée, je m’installe en bout de table et j’étale mes dossiers sur la table. Je regarde l’heure, il est 8h20. Personne n’est en avance, ce n’est pas normal. Bien sûr, la réunion est à 8h30, mais ils auraient pu se dire que j’allais arriver en avance.
J’attends jusqu’à 8h28 pour attendre les premiers arrivants. Ils viennent groupés, comme des moutons. À 8h30, il y a dix-neuf personnes autour de la table. Personne ne dit rien, et tous me regardent comme si j’étais une sorte de monstre. Je me redresse sur ma chaise et joint les mains sur la table.
« Bonjour à tous. Je ne vous remercie pas pour votre ponctualité. Je suis dans cette salle depuis dix minutes, ce n’est pas normal que je sois la seule en avance. Ensuite, je veux savoir où sont les deux comiques qui veulent arriver en retard ? » dis-je, ferme. Personne n’ose répondre. Cela m’agace.
« Alors ? Où sont-ils ? »
C’est à cet instant qu’une jeune femme ouvre la porte de la salle de réunion. Il a l’air essoufflée. Est-ce que je m’en préoccupe ? Non.
« Comment vous vous appelez ?
- Catherine ?
- Enchanté. Dehors !
- Quoi ?
- Dois-je vraiment répéter ? »
La jeune fille hésite un instant puis sort. Si elle avait osé prononcer un mot de plus, je l’aurai fait renvoyé.
« Nous pouvons donc commencer la réunion sur la société à actionnariat de la Forêt de Sherwood que j’ai aidée à créer. On en est où ? » dis-je.
Joshua, le porte-parole du groupe de travail, se lève. Joshua est un homme jeune, originaire de San Fransokyo. Il est très grand, la peau légèrement bronzée, plutôt beau garçon même s’il n’est pas mon style. Malgré ma poigne de fer, il tient le coup. Il a l’air d’aimer mon côté autoritaire, même s’il n’arrive pas en avance aux réunions. Dans un costume assez semblable à celui du Président de la Shin-Ra, il me regarde et commence son rapport.
« Tout d’abord, pour faire un résumé de la situation dans laquelle vous l’avez laissé : vous deviez régler un problème de mutinerie au sein d’une mine de gemmes dans le monde de la Forêt de Sherwood. Mission couronnée de succès qui a laissé place à une société d’actionnariat qui nous vend exclusivement sa production. Nous avons pris ensuite le relais pour superviser la nouvelle société qui a pour l’instant rempli ses objectifs. Les échanges commerciaux ont repris. Le profit de la Shin-Ra a baissé de 20% cependant de part l’intéressement des employés et l’augmentation de la sécurité que nous finançons à cause des conflits sur ce monde.
- Est-ce que les ouvriers ont suffisamment de moyens pour vivre sur place ?
- On nous rapporte qu’apparemment oui. Beaucoup se sont installés à côté de la mine pour se défendre en communauté et éloigner les rôdeurs malfaisants. De ce qu’on sait, ils ont assez de revenus pour pouvoir manger à leur faim. Ils ne sont pas riches, mais leur situation s’est améliorée. On nous rapporte même que le Contremaître Ribbs a accueilli des orphelins locaux.
- Bien.
- Nous pensions proposer un nouvel investissement à cette société subalterne pour qu’ils agrandissent la mine. Avec la baisse de profits dus aux conditions de votre mission font que nous devons compenser d’une manière ou d’une autre.
- On parle d’un investissement de combien ?
- A peu près le prix d’un vaisseau moyen de la Shin-Ra Madame Song.
- Pour une augmentation du volume de combien ?
- On espère trois tonnes supplémentaires d’ici un mois ou deux, après travaux.
- Validez. Transmettez cette proposition au bureau du Président, il aura le dernier mot. Envoyez mes compliments au Contremaître Ribbs par ailleurs. »
Je prends quelques notes. Ils n’osent pas bouger.
« Vous aviez besoin d’être vingt-et-une personnes pour un tel rapport ? »
Pas de réponses. Je suis entourée d’incapables et de lâches.
« Sortez, et vous avez intérêt à être plus percutants cette après-midi. »
Ils sortent tous sans un mot. Seul Joshua brave le silence pour me parler :
« Je fais entrer vos rendez-vous ?
- Oui, envoyez-les à mon bureau. Ce sera tout Joshua. »
Il sort, je le suis vers la sortie. Je rejoins mon bureau et j’attends mon premier rendez-vous du jour. Je n’ai pas eu de mémo quant aux personnes que je rencontre, je sais seulement que certains veulent me voir. Je me demande bien qui. On tape à la porte. Je déverrouille la porte avec un bouton sous mon bureau. La porte s’ouvre sur quelqu’un que je connais bien maintenant : Francis. Mais qu’est-ce qu’il fout ici ?!
« Qu’est-ce que vous venez faire Francis ?! Je travaille !
- Ah bah j’ai prie rendez-vous avec votre puceau-là, il m’a dit que les employés pouvaient prendre rendez-vous avec leurs chefs !
- Je ne suis pas votre chef à proprement parlé Francis, vous êtes attaché à moi par la direction.
- C’est sympa d’être atta…
- Rentrez et asseyez-vous ! » dis-je, agacée. Mais qu’est-ce qu’il veut à la fin ?
Il s’approche et s’assoit. Je note qu’il a mis son uniforme pour une fois et non pas son vieux marcel dégueulasse.
« Qu’est-ce que tu veux Francis ?
- J’ai entendu des choses. On peut en parler ? » dit-il, l’air plus sombre qu'à l'accoutumée.
Je suis surprise. Je n’ai jamais vu Francis adopter ce ton. Il a dû effectivement entendre quelque chose. Je me redresse et je change d’attitude, je deviens plus avenante.
« Je t’écoute. » Il remue son postérieur sur le cuir de sa chaise, hésite puis se met à parler.
« J’ai entendu des collègues pilotes du SOLDAT dirent qu’il y avait des dossiers RH confidentiels pour certains employés… Si vous voyez ce que je veux dire.
- Sois plus clair.
- Votre mari pourrait être dans l’un de ces dossiers. Il travaillait pour la Shin-Ra avant de disparaître non ?
- Hum… Tu es sûr de ce que tu as entendu ?
- Oui. Après je ne sais pas s’il y aura un dossier spécial pour votre mari ou pas. C’est dans une salle d’archives spéciale. Allée J, corridor 3, porte B-44.
- Comment as-tu eu une localisation si précise ?
- J'ai peut-être dissuadé deux ou trois secrétaires de la direction de parler...
- Francis... Tu ne les as pas... ?
- Bien sûr que non ! J'ai juste utilisé mon corps de rêve pour les séduire.
- Je ne veux rien savoir de plus. Je me renseignerai Francis. Merci pour cette information. »
Francis se lève, me salue et repart comme il est venu. Me laissant réfléchir à tout ça. J’espère que la Shin-Ra ne m’a pas caché des choses. Mais cela reste une bonne piste pour trouver de nouvelles informations. Si Francis a dit que c’était « spécial », cela veut dire qu’il me faut une carte d’accès pour ce lieu. Il va falloir que j’en vole une, il n’y a pas de raisons que j’ai accès à cette salle en temps normal, ce n’est pas dans mon service. Je passe à mon rendez-vous suivant, cette fois avec Joshua. Nous devons parler d’un retour de dossier concernant du titane. Il rentre en silence dans mon bureau, après avoir attendu que je lui ouvre.
« Votre rendez-vous précédent s’est bien passé ?
- En quoi ça vous regarde Joshua ?
- Pardon, oui…
- On en est où sur le titane ?
- Votre « contact » au Jardin Radieux a bien tout remis à la Shin-Ra.
- Je voulais plus un rapport sur les cours du titane.
- Toujours la pénurie, même si l’entreprise s’en sort en se fournissant par divers réseaux.
- C’est déjà ça. Ils en ont fait quoi du contact d’ailleurs ?
- Ils l’ont gardé jusqu’à ce que l’affaire soit conclue.
- Bien.
- Tenez, voilà le dossier. »
Je prends le dossier et je le lis. C’est mal fait, mal écrit, imprécis.
« Qui a fait ce rapport Joshua ?
- Euh… Sophie et Bernardo, pourquoi ?
- Vous leur ferez savoir qu’ils sont licenciés. Immédiatement.
- Pour quel motif ?
- Est-ce que je dois me justifier auprès de vous ?
- Euh… Non, d’accord je prends note. »
Allez, ça fera deux salaires à payer en moins pour ce mois-ci et deux incapables en moins dans la Shin-Ra. Je finis de discuter avec Joshua puis je le congédie, qu’il retourne travailler ! Mes rendez-vous de la journée s’enchaîne. Les réunions aussi. Au total j’en ai fait virer six dans la journée. Ce n’est pas mal, c’est ma vitesse de croisière. La dernière réunion de la journée commence. C’est sur la situation actuelle à Illusiopolis. Nous sommes dans la salle de réunion et la séance à commencer il y a trente minutes.
« Le Gang des Songes demeure actif même si une stratégie claire est encore à déterminer.
- Oui, et il faut dire également qu’ils ne gênent pas directement notre développement.
- Qu’en est-il des Blood Fists ?
- Ils ont pris un coup, mais leur direction a tenu le choc. Ils ont perdu beaucoup, mais ils survivent et reprennent un peu d’aplomb, même s’il faudra des mois pour qu’ils retrouvent leur réputation. »
La réunion se clos peu après. Je pars en première, les laissant récupérer de leurs émotions. Six licenciés dans la journée, ça vous boost une réunion. Je finis de ranger mes papiers et je décide de rejoindre ma cabine. Tout le bureau évite de croiser mon regard, ils savent que je ne tolère pas l’incompétence. Les problèmes que l’on rencontre sur le terrain, c’est une chose. Les problèmes rencontrés au bureau peuvent tous êtres surmontés. Alors que je m’apprête à sortir, je tombe nez-à-nez avec ma Némésis de la paperasse : Caroline. Avec sa coupe au carré, ses oreilles de souris et ses yeux de requin.
« Alors Madame Song ? On fait sa journée de bureau hebdomadaire ?
- Comment va votre ménopause Caroline ?
- Ah ! Sale garce. J’attends avec impatience le jour où le Président vous licenciera !
- Faites attention, vous ne serez peut-être déjà plus là le jour où cela arrivera.
- Vous ne vous en tirerez pas, Huayan !
- Taisez-vous. Je suis à ce poste car je travaille mieux que vous. Vous êtes capable de maîtriser les tâches basiques, je suis plus efficace dans les cas compliqués. Maintenant laissez mes subordonnés et ceux des autres travailler. Vous faîtes perdre du temps à la Shin-Ra. »
Je n’ai pas besoin d’autres mots pour la faire partir. Telle une furie, elle jette un stylo par terre et s’en va. Enragée, elle est rouge. On dirait une grosse tomate mécontente. Pauvre vieille fille. Je regarde derrière moi, tout le monde retourne au travail. Ils savent qu’avec moi, il va falloir travailler jusqu’à 20h. Au moins. Moi, je vais me préparer pour le reste de ma soirée. Je rejoins ma cabine et je sors une carte du vaisseau. J’en ai toujours une sous la main pour éviter de me perdre. Ce n’est pas légal, mais je ne crains pas grand chose. Allée J, corridor 3, porte B-44… Trouvée ! C’est effectivement bien caché, dans une allée peu fréquentée des étages inférieures. Je patiente un moment, j’enlève mes bijoux. J’attends que l’heure du dîner commence. Moins de témoins potentiels dans les couloirs. Après 20h30, je sors de ma cabine et me dirige vers les étages inférieurs. Je m’éloigne de plus en plus du tumulte des personnels circulant dans le Vaisseau. Je me dirige vraiment vers les étages inférieurs, là où il y a les archives, le traitement des déchets, la cantine des salariés et des réserves de je-ne-sais-quoi. Je vous avoue que je ne fouille pas le vaisseau tous les jours. Sur mon chemin, je croise Francis qui tique immédiatement sur moi et m’interpelle dans un angle mort des caméras.
« On se balade sans Francis Madame Song ?
- Je vais manger à la cantine.
- Madame, ne me prenez pas pour une pimbêche avec un 95 D : je déteste la bouffe de la cantine donc vous ne l’aimez certainement pas non plus. Je viens avec vous. Laissez-moi vous aider.
- Soit, mais nous devons être comme des fantômes.
- Après notre rendez-vous, j’ai trouvé le poste de sécurité du corridor 3. On a qu’à rentrer dedans et effacer les enregistrements vidéos après que vous soyez passée.
- Allez-y seul, occupez vous de la sécurité, moi je vais directement à la porte B-44.
- C’est parti ! »
Je lui lâche un petit sourire et je reprends mon chemin. Bien que cet homme soit un véritable goret, je commence à réellement apprécier sa loyauté presque sans faille. J’aime les gens loyaux. Un soldat loyal ne vous abandonne jamais, que vous soyez au sommet de votre gloire ou au fin fond d’un gouffre ; un individu lambda ne vous accompagne que quand il y trouve un intérêt personnel. Je poursuis ma route. Je remarque un garde en faction dans le corridor 3. Aïe. Les choses se compliquent, il va falloir m’en débarrasser en douceur. Qu’est-ce que je peux bien faire ? L’assommer ? Mais avec quoi ? Non. Le tuer ? Non, ça n’a pas de sens. Ah, je sais.
Je me plaque contre le mur, dans un angle et j’attends qu’il me tourne le dos pour repartir dans l’autre sens du corridor. J’en profite pour me concentrer. Une fois prête, j’envoie tout sur lui.
Le soldat en faction s’arrête et s’appuie contre le mur de gauche. Il vacille un peu se faisant. J’en profite pour prendre l’apparence faciale et capillaire de la vieille pie de Caroline, au moins si le soldat se rappelle de quelque chose, ce sera son vieux visage décrépit. Il vomit abondamment sur le sol. Formidable, un soldat qui a le vertige de base. Mon pouvoir a bien fonctionné dites moi, c’est une cible parfaite. Je m’approche de lui.
« Vous allez bien, monsieur ?
- N… » tente t-il de dire avant de revomir un coup.
Vous me connaissez, j’en profite pour prendre son badge, attaché à sa ceinture. Je le fais le plus adroitement possible, pour éviter qu’il s’en rende compte, mais vu son état, j’en doute.
« Vous devez aller à l’infirmerie ! » dis-je, faussant mon intérêt pour lui ou même sa santé.
Je l’aide à se relever, il vacille toujours encore un peu, mais il se remet. Je lui indique l’infirmerie de l’allée A, corridor 1. Rien que d’y aller va lui prendre une demi-heure. Je dois faire vite, il s’éloigne et je fonce vers la porte B-44 pour la déverrouiller avec son badge. J’ai bien fait de lui prendre, je n’ai vraiment pas accès à cette salle en temps normal. J’entre dans une salle très sombre, avec de nombreuses rangées d’étagères métalliques et de cartons avec des centaines de milliers de pages. Il va falloir être méthodique. Je verrouille la porte derrière moi de l’intérieur. J’entends un haut-parleur qui crépite dans la salle, puis la voix de Francis s’anime :
« Madame Song, c’est pas pour faire ma petite chatte mais va falloir se bouger. »
Merci Francis, cela m’aide beaucoup. Je me dirige vers l’allée avec la lettre « H », comme Haojun ou Huayan. J’ouvre des dossiers, des classeurs. Je vois des noms, des informations, même des rapports de missions qui ne datent pas d’hier… Je ne trouve rien, je fouille l’allée « Z » comme pour la première lettre du nom de famille de mon mari. Je ne trouve toujours pas. Je m’agace et je commence à tout fouiller en jetant les informations qui ne m’intéressent pas au sol. Rapidement, le sol est recouvert. Cela doit bien faire maintenant vingt minutes que je ne trouve absolument aucune mention de mon mari. C’est impossible. Je finis par trouver un carton contenant un classeur avec des informations assez vieilles sur la Terre des Dragons. Cela pique ma curiosité et je regarde au cas où.
Je trouve enfin quelque chose.
Il est inscrit que mon mari a eu une rencontre avec Jiawei Dajisi – la Haute-Prêtresse Jiawei- peu avant sa disparition dans son temple. Qu’est-ce qu’il a bien pu aller faire chez cette vieille sorcière ? Jiawei Dajisi est la haute prêtresse en charge d’un culte local au sein de ma ville : le culte de He Shen, le Dieu de la Rivière. Bien qu’elle tente de se faire passer pour inoffensive et gâteuse, les gens avec un minimum de jugeotte se rendent compte qu’elle est aussi rusée qu’un renard et qu’elle participe activement aux luttes de faction dans ma ville. Qu’est-ce qu’Haojun a bien pu aller faire avec elle ? Je remonte encore plus loin dans les rapports, et je vois qu’il l’a rencontré plusieurs fois sur une longue période, à peu près une fois toutes les trois semaines. Pourquoi faire ? C’est une piste, je continue de lire, mais je ne trouve plus rien. Comme si cette page est tout ce qu’il restait du passage de mon mari dans la Shin-Ra. Ou alors, je n’ai pas tout bien fouillé. Je prends la page et je la range dans ma poche, c’est toujours ça de pris. Je retourne fouiller un peu et je finis par tomber sur autre chose, tout aussi intéressant : un dossier à mon nom.
Je l’ouvre, piquée par la curiosité de savoir ce que la Shin-Ra inscrit sur moi dans mon dos. Il y a mes différents faits d’armes, mes missions, mes réussites, mes échecs, mon parcours et une partie de mon passé. Bien que je n’ai rien à cacher – ou presque- sur mes missions au sein de la Shin-Ra, les informations sur ma famille, mon passé et mon mari ne me conviennent pas. Je prends avec moi les pages concernant ma famille, mes liens amicaux en Terre des Dragons et mon rapport psychologique. La Shin-Ra n’a pas besoin d’autant de détails. Je range tout dans ma poche en froissant un peu le tout, je n’ai pas le luxe du temps malheureusement.
« Madame Song, le garde sort de l’infirmerie d’où vous l’avez envoyé. Va falloir vous dépêcher de sortir. Retournez dans votre cabine, on se parlera de tout ça plus tard. Je vais tout effacer, vous inquiétez pas, personne ne saura ce qui s’est passé ici pendant les quarante-cinq dernières minutes. »
Je lui fais signe de la main pour lui indiquer que j’ai bien entendu son message. Je renverse un peu tout n’importe comment, faisant voler un nuage de poussière dans les airs. Je reprends la face de Caroline et je sors de cette salle poussiéreuse et encombrée. Je me dépêche de courir pour m’éloigner au plus vite et rejoindre mon appartement. Francis a raison, nous devons nous éviter jusqu’à la prochaine mission. Je ne veux même pas savoir comment il a fait pour accéder à la salle, même si j’imagine qu’il a dû assommer le pauvre soldat qui était derrière l’écran. Je rejoins ma cabine, et je décide de sortir toutes ces feuilles volantes de mes poches. Je les relis, tentant de voir quelque chose que j’aurai manqué. Je prends toutes les feuilles concernant ma personne et je les déchire, les réduit en tout petit bout que je jette à la poubelle. Ce sera ça de moins. Pour la page concernant mon mari, je la plie soigneusement et la cache dans un compartiment secret sous ma boîte à bijoux. Il y a assez de place pour mettre une feuille pliée en deux. Je me fais monter un plateau repas de qualité et je dîne seule, dans un silence dont le seul les routes interstellaires ont le secret, pensant à mon mari. Ce n’est pas la joie qui me traverse comme vous devez l’imaginer. Cette sensation de mystère, cette atmosphère pesante, cette vie de labeur me condamnent à errer inlassablement entre les mondes, mes envies, mes souvenirs et mes devoirs en quête d’un homme peut-être vivant mais que je ne retrouverai jamais. Qu’est-ce qui a bien pu arriver ? Qu’est-ce que j’ai raté ? Qu’est-ce que j’ai oublié ?
Je m’allonge sur mon lit, pensive. Je me demande si mon esprit trouve encore un moyen pour se reposer. Entre mes rêves étranges et ma vie de femme intrépide travaillant pour la Shin-Ra, il est très sollicité. Je soupire un grand coup. Je décide de laisser aller mon chagrin. Parfois, nous devons relâcher ce qui nous pèse sur l’âme, à l’abri des regards et des jugements. Je commence à murmurer une chanson. Lentement, du bout des lèvres, brisant de très peu le règne du silence. Je m’endors sur ces paroles.
« Qui n'a connu
Douleur immense
N'aura qu'un aperçu
Du temps
L'aiguille lente
Qu'il neige ou vente
L'omniprésente
Souligne ton absence
Partout
Si j'avais au moins
Revu ton visage
Entrevu au loin
Le moindre nuage
Mais c'est à ceux
Qui se lèvent
Qu'on somme « d'espoir »
Dont on dit qu'ils saignent
Sans un au revoir, de croire
Et moi pourquoi j'existe
Quand l'autre dit « je meurs » ?
Pourquoi plus rien n'agite
Ton cœur ? »
Où es-tu mon Amour ?
Une forme que je devine humanoïde, dissimulée dans un nuage de fumées noires. Je sors mon fouet éthérique et je me mets à courir. J’ai peur, je l’ai vu. Il a suffisamment confiance pour se montrer à moi cette fois. Nulle ne peut échapper à la mort. Nous sommes dans un rêve, et mon cerveau me le rappelle cruellement : je passe d’une extrême assurance à une crainte. Qu’est-ce que je vais perdre ? Je stoppe ma course. Je sens encore la présence, qui semble attendre. Mais qu’est-ce qu’elle attend ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Je n’ai pas la force ou l’envie de parler. La vie est une succession de choix, mais si je me refuse de faire celui-ci, que va t-il m’arriver ? Je n’ai pas le choix, je recule… L’ombre avance de nouveau vers moi, les rôles sont inversés. Je suis la proie, elle est le prédateur. Je cours vers ma chambre. Je ne regarde pas derrière moi. Je trébuche dans un couloir étroit, je m’effondre par terre. L’ombre se jette sur moi. Je crie. J’hurle de toutes mes forces ! Je ne vois rien, je ne ressens que de la peur.
Et alors que je sombre dans une terreur sans nom, j’entends distinctement ces mots dits dans une voix que je ne connais guère :
« L’abîme appelle l’abîme. De la lumière jaillit l’ombre. Ce que l’on possède dissimule la vérité. Ce que tu as perdu, tu le retrouveras mais le prix des secrets, tu paieras. Les fleurs ne s’épanouissent qu’au détriment des autres. »
Je me réveille brusquement dans mon lit, en sueurs. Qu’est-ce que tout ceci signifie ? Je passe une main sur mon visage, je me calme progressivement. Je décide de me lever. Je vais dans ma petite salle de bains pour me nettoyer. Je rentre dans la douche. Je reste un moment-là, appuyée sur la paroi, à laisser l’eau chaude coulée le long de mon corps. Je réfléchis à ce que je viens de vivre dans mon rêve. Tout est confus, je ne retiens que ces étranges mots. Pas le temps de niaiser, je dois aller au travail, malgré ce rêve qui se répète inlassablement à intervalles irrégulières. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour recevoir cette étrange, voir terrifiante, visite ? Je sors de la douche et je me prépare. Je me sèche les cheveux, je m’habille et je me maquille. J’essaye d’oublier ma fin de nuit difficile. Aujourd’hui, je ne suis pas sur le terrain, je suis au bureau. Je m’habille en conséquence : nous avons tous un uniforme selon nos grades, nos positions, nos emplois. Pour moi, c’est tenue noire. Pour d’autres c’est blanc, d’autres ont une dérogation. Je n’ai pas eu le cœur de demander une dérogation encore, je n’en vois pas l’intérêt, je suis régulièrement sur le terrain après tout. Je n’oublie cependant pas d’afficher mes origines en mettant dans mes cheveux une belle broche en or stylisée et en mettant en avant quelques bijoux de Chine. Notamment un collier en jade, un bracelet en or avec trois rubis incrustés et une bague ayant la forme d’une griffe en or. C’est très à la mode pour les femmes de la haute société chinoise d’avoir ce genre de griffe à l’un de leurs doigts, habituellement l’index. Mine de rien cela fait un bon coupe-papier pour ouvrir le courrier. Je sors de ma cabine et me dirige vers l’étage numéro six.
C’est là où il y a mon bureau. C’est l’aube d’une nouvelle journée de travail et je vois déjà une foule de personnels, de SOLDATS et d’autres individus étranges circuler dans le vaisseau. L’effervescence au sein du Vaisseau-Mère montre la puissante de notre organisation. Je ne connais pas beaucoup de gens encore dans le Vaisseau-Mère, et en même temps il est si immense qu’il est presque impossible de croiser quelqu’un que l’on connaît ici. Je prends un ascenseur. Nous entrons à dix dedans : un homme-poule de la Forêt de Sherwood j’imagine, cinq humains qui ont l’air de venir d’Illusiopolis de ce que j’entends de leur conversation qui porte sur ma poitrine et mes fesses, une espèce de robot qui parle, une grande dame avec les cheveux très courts qui a un air très froid et des traits très masculins et enfin deux secrétaires de Monsieur le Président que j’identifie immédiatement de part leur faible intelligence apparente. Et nous voilà partis pour quelques instants ensemble vers un autre étage. Je remarque que la grande dame blonde a une insigne des Soldats sur elle. Elle n’a pas l’air d’avoir aussi peu d’expérience que Gunther ou Yijun, donc je dirai qu’elle doit être au moins de classe 2. Je n’ai pas le temps de creuser plus longtemps mon analyse, les portes s’ouvrent et je dois sortir à cet étage. Je fais encore un petit bout de chemin pour enfin passer le sas où je rentre mon code personnel et mon code secret pour déverrouiller l’entrée du bureau.
« Accès accepté. » dit la voix robotique enregistrée dans le logiciel des codes.
« Encore heureux. » dis-je, méprisante.
Le bureau est constitué d’un open space où les sous-gradés de l’administration font leurs petites besognes tandis qu’au fond de l’étage se trouve les bureaux fermés et privés des personnes un peu plus importantes. L’étage est conçu de telle manière que les haut-gradés passent devant tout le petit personnel. Certainement pour affirmer leur autorité, d’une manière ou d’une autre. Mon passage est souvent remarqué, principalement car je ne suis là que rarement et que donc si je suis là aujourd’hui, cela veut dire qu’il va y avoir quelques licenciements pour incompétences. Je traverse tout l’étage, sous le regard indiscret des larbins de l’étage qui savent qu’ils vont prendre chère aujourd’hui. En effet, ma journée est assez chargée, je ne sais même pas si je pourrai déjeuner à midi. Je ne suis pas contre rater certains repas au Vaisseau-Mère, la nourriture est si infâme que je préfère ne rien avaler. Si je veux manger correctement ici il faut commander des repas spéciaux aux cuisiniers qui déduisent le repas de votre salaire. Seuls les très haut-gradés de l’administration peuvent se permettre cela sans payer de leurs poches. Je traverse un nouveau couloir pour arriver devant une porte. Le Bureau 66. J’ai spécialement demandé celui-ci car le chiffre six est un porte-bonheur en Chine. Je rentre de nouveau mon code personnel, mon code secret et nouveauté sécuritaire de la Shin-Ra je dois placer mon œil devant une sorte d’appareil qui regarde si je suis bien moi-même ou pas. C’est formidable la technologie. La porte se déverrouille et je contemple un peu la pièce : le tout est très contemporain, très Illusiopolis mais en plus propre et plus évolué en un sens. Un large bureau blanc dans une matière que je n’identifie pas, une large chaise très confortable en cuir, un « ordinateur » comme il l’appelle, des chaises moyennement confortables pour les gens que je reçois, une table basse avec un grand canapé noir aussi. C’est sympathique. Pas de fenêtres, pas de points de lumière en-dehors des lampes au plafond. Parcontre j’ai une sorte de mur sur lequel je peux projeter des images et ainsi rompre l’ « enfermement » de la pièce. Habituellement, je projette une image des montagnes de ma région d’origine, le Sichuan. Cela me détend de voir ces majestueuses montagnes s’élever dans les airs, recouvertes de verdures et de temples taoïstes.
Je m’assois sur ma chaise et j’ouvre l’agenda de mon « ordinateur » : je n’ai jamais compris pourquoi ils appellent cette boîte de métal et d’images comme ça. Alors : mon premier rendez-vous est à 8h30 en salle de réunion. J’enchaîne ensuite sur trois rendez-vous individuels, et après des réunions toute l’après-midi. Je devrais finir vers 19h, au minimum. Je regarde l’horloge sur le mur : 7h50. J’ai encore un peu de marge. Je sors quelques papiers, deux stylos à plume. Je vérifie que les cartouches d’encre sont bien remplies. J’aime terroriser mes subordonnés. Avec le temps et au gré de mes missions, j’ai appris que la peur est le sentiment primaire de tout être. Les employés de la Shin-Ra sont des gens simples : ils sont là pour leur salaire, pas par amour du Président. Si vous éliminez les éléments faibles, ceux qui restent travailleront mieux. Ma méthode pour diriger mon équipe n’est pas appréciée par tous, je le sais. En attendant, ce sont mes dossiers qui sont mieux traités que les autres. Ça lui apprendra à Caroline, cette vieille harpie de bureau qui n’a jamais apprécié mes compétences de terrain sans compter ma progression rapide au sein de la hiérarchie. Caroline est une des personnes qui gère l’administratif au sein de la Shin-Ra, un peu comme moi, mais dans des domaines plus civils et de moindre importance : d’où sa jalousie. Elle pense être meilleure que moi quand la réalité est toute autre : je ne fais pas le même travail qu’elle. Après la mise au point, j’embarque différents dossiers, je verrouille la porte et je me dirige vers une salle de réunion. Je suis la première arrivée, je m’installe en bout de table et j’étale mes dossiers sur la table. Je regarde l’heure, il est 8h20. Personne n’est en avance, ce n’est pas normal. Bien sûr, la réunion est à 8h30, mais ils auraient pu se dire que j’allais arriver en avance.
J’attends jusqu’à 8h28 pour attendre les premiers arrivants. Ils viennent groupés, comme des moutons. À 8h30, il y a dix-neuf personnes autour de la table. Personne ne dit rien, et tous me regardent comme si j’étais une sorte de monstre. Je me redresse sur ma chaise et joint les mains sur la table.
« Bonjour à tous. Je ne vous remercie pas pour votre ponctualité. Je suis dans cette salle depuis dix minutes, ce n’est pas normal que je sois la seule en avance. Ensuite, je veux savoir où sont les deux comiques qui veulent arriver en retard ? » dis-je, ferme. Personne n’ose répondre. Cela m’agace.
« Alors ? Où sont-ils ? »
C’est à cet instant qu’une jeune femme ouvre la porte de la salle de réunion. Il a l’air essoufflée. Est-ce que je m’en préoccupe ? Non.
« Comment vous vous appelez ?
- Catherine ?
- Enchanté. Dehors !
- Quoi ?
- Dois-je vraiment répéter ? »
La jeune fille hésite un instant puis sort. Si elle avait osé prononcer un mot de plus, je l’aurai fait renvoyé.
« Nous pouvons donc commencer la réunion sur la société à actionnariat de la Forêt de Sherwood que j’ai aidée à créer. On en est où ? » dis-je.
Joshua, le porte-parole du groupe de travail, se lève. Joshua est un homme jeune, originaire de San Fransokyo. Il est très grand, la peau légèrement bronzée, plutôt beau garçon même s’il n’est pas mon style. Malgré ma poigne de fer, il tient le coup. Il a l’air d’aimer mon côté autoritaire, même s’il n’arrive pas en avance aux réunions. Dans un costume assez semblable à celui du Président de la Shin-Ra, il me regarde et commence son rapport.
« Tout d’abord, pour faire un résumé de la situation dans laquelle vous l’avez laissé : vous deviez régler un problème de mutinerie au sein d’une mine de gemmes dans le monde de la Forêt de Sherwood. Mission couronnée de succès qui a laissé place à une société d’actionnariat qui nous vend exclusivement sa production. Nous avons pris ensuite le relais pour superviser la nouvelle société qui a pour l’instant rempli ses objectifs. Les échanges commerciaux ont repris. Le profit de la Shin-Ra a baissé de 20% cependant de part l’intéressement des employés et l’augmentation de la sécurité que nous finançons à cause des conflits sur ce monde.
- Est-ce que les ouvriers ont suffisamment de moyens pour vivre sur place ?
- On nous rapporte qu’apparemment oui. Beaucoup se sont installés à côté de la mine pour se défendre en communauté et éloigner les rôdeurs malfaisants. De ce qu’on sait, ils ont assez de revenus pour pouvoir manger à leur faim. Ils ne sont pas riches, mais leur situation s’est améliorée. On nous rapporte même que le Contremaître Ribbs a accueilli des orphelins locaux.
- Bien.
- Nous pensions proposer un nouvel investissement à cette société subalterne pour qu’ils agrandissent la mine. Avec la baisse de profits dus aux conditions de votre mission font que nous devons compenser d’une manière ou d’une autre.
- On parle d’un investissement de combien ?
- A peu près le prix d’un vaisseau moyen de la Shin-Ra Madame Song.
- Pour une augmentation du volume de combien ?
- On espère trois tonnes supplémentaires d’ici un mois ou deux, après travaux.
- Validez. Transmettez cette proposition au bureau du Président, il aura le dernier mot. Envoyez mes compliments au Contremaître Ribbs par ailleurs. »
Je prends quelques notes. Ils n’osent pas bouger.
« Vous aviez besoin d’être vingt-et-une personnes pour un tel rapport ? »
Pas de réponses. Je suis entourée d’incapables et de lâches.
« Sortez, et vous avez intérêt à être plus percutants cette après-midi. »
Ils sortent tous sans un mot. Seul Joshua brave le silence pour me parler :
« Je fais entrer vos rendez-vous ?
- Oui, envoyez-les à mon bureau. Ce sera tout Joshua. »
Il sort, je le suis vers la sortie. Je rejoins mon bureau et j’attends mon premier rendez-vous du jour. Je n’ai pas eu de mémo quant aux personnes que je rencontre, je sais seulement que certains veulent me voir. Je me demande bien qui. On tape à la porte. Je déverrouille la porte avec un bouton sous mon bureau. La porte s’ouvre sur quelqu’un que je connais bien maintenant : Francis. Mais qu’est-ce qu’il fout ici ?!
« Qu’est-ce que vous venez faire Francis ?! Je travaille !
- Ah bah j’ai prie rendez-vous avec votre puceau-là, il m’a dit que les employés pouvaient prendre rendez-vous avec leurs chefs !
- Je ne suis pas votre chef à proprement parlé Francis, vous êtes attaché à moi par la direction.
- C’est sympa d’être atta…
- Rentrez et asseyez-vous ! » dis-je, agacée. Mais qu’est-ce qu’il veut à la fin ?
Il s’approche et s’assoit. Je note qu’il a mis son uniforme pour une fois et non pas son vieux marcel dégueulasse.
« Qu’est-ce que tu veux Francis ?
- J’ai entendu des choses. On peut en parler ? » dit-il, l’air plus sombre qu'à l'accoutumée.
Je suis surprise. Je n’ai jamais vu Francis adopter ce ton. Il a dû effectivement entendre quelque chose. Je me redresse et je change d’attitude, je deviens plus avenante.
« Je t’écoute. » Il remue son postérieur sur le cuir de sa chaise, hésite puis se met à parler.
« J’ai entendu des collègues pilotes du SOLDAT dirent qu’il y avait des dossiers RH confidentiels pour certains employés… Si vous voyez ce que je veux dire.
- Sois plus clair.
- Votre mari pourrait être dans l’un de ces dossiers. Il travaillait pour la Shin-Ra avant de disparaître non ?
- Hum… Tu es sûr de ce que tu as entendu ?
- Oui. Après je ne sais pas s’il y aura un dossier spécial pour votre mari ou pas. C’est dans une salle d’archives spéciale. Allée J, corridor 3, porte B-44.
- Comment as-tu eu une localisation si précise ?
- J'ai peut-être dissuadé deux ou trois secrétaires de la direction de parler...
- Francis... Tu ne les as pas... ?
- Bien sûr que non ! J'ai juste utilisé mon corps de rêve pour les séduire.
- Je ne veux rien savoir de plus. Je me renseignerai Francis. Merci pour cette information. »
Francis se lève, me salue et repart comme il est venu. Me laissant réfléchir à tout ça. J’espère que la Shin-Ra ne m’a pas caché des choses. Mais cela reste une bonne piste pour trouver de nouvelles informations. Si Francis a dit que c’était « spécial », cela veut dire qu’il me faut une carte d’accès pour ce lieu. Il va falloir que j’en vole une, il n’y a pas de raisons que j’ai accès à cette salle en temps normal, ce n’est pas dans mon service. Je passe à mon rendez-vous suivant, cette fois avec Joshua. Nous devons parler d’un retour de dossier concernant du titane. Il rentre en silence dans mon bureau, après avoir attendu que je lui ouvre.
« Votre rendez-vous précédent s’est bien passé ?
- En quoi ça vous regarde Joshua ?
- Pardon, oui…
- On en est où sur le titane ?
- Votre « contact » au Jardin Radieux a bien tout remis à la Shin-Ra.
- Je voulais plus un rapport sur les cours du titane.
- Toujours la pénurie, même si l’entreprise s’en sort en se fournissant par divers réseaux.
- C’est déjà ça. Ils en ont fait quoi du contact d’ailleurs ?
- Ils l’ont gardé jusqu’à ce que l’affaire soit conclue.
- Bien.
- Tenez, voilà le dossier. »
Je prends le dossier et je le lis. C’est mal fait, mal écrit, imprécis.
« Qui a fait ce rapport Joshua ?
- Euh… Sophie et Bernardo, pourquoi ?
- Vous leur ferez savoir qu’ils sont licenciés. Immédiatement.
- Pour quel motif ?
- Est-ce que je dois me justifier auprès de vous ?
- Euh… Non, d’accord je prends note. »
Allez, ça fera deux salaires à payer en moins pour ce mois-ci et deux incapables en moins dans la Shin-Ra. Je finis de discuter avec Joshua puis je le congédie, qu’il retourne travailler ! Mes rendez-vous de la journée s’enchaîne. Les réunions aussi. Au total j’en ai fait virer six dans la journée. Ce n’est pas mal, c’est ma vitesse de croisière. La dernière réunion de la journée commence. C’est sur la situation actuelle à Illusiopolis. Nous sommes dans la salle de réunion et la séance à commencer il y a trente minutes.
« Le Gang des Songes demeure actif même si une stratégie claire est encore à déterminer.
- Oui, et il faut dire également qu’ils ne gênent pas directement notre développement.
- Qu’en est-il des Blood Fists ?
- Ils ont pris un coup, mais leur direction a tenu le choc. Ils ont perdu beaucoup, mais ils survivent et reprennent un peu d’aplomb, même s’il faudra des mois pour qu’ils retrouvent leur réputation. »
La réunion se clos peu après. Je pars en première, les laissant récupérer de leurs émotions. Six licenciés dans la journée, ça vous boost une réunion. Je finis de ranger mes papiers et je décide de rejoindre ma cabine. Tout le bureau évite de croiser mon regard, ils savent que je ne tolère pas l’incompétence. Les problèmes que l’on rencontre sur le terrain, c’est une chose. Les problèmes rencontrés au bureau peuvent tous êtres surmontés. Alors que je m’apprête à sortir, je tombe nez-à-nez avec ma Némésis de la paperasse : Caroline. Avec sa coupe au carré, ses oreilles de souris et ses yeux de requin.
« Alors Madame Song ? On fait sa journée de bureau hebdomadaire ?
- Comment va votre ménopause Caroline ?
- Ah ! Sale garce. J’attends avec impatience le jour où le Président vous licenciera !
- Faites attention, vous ne serez peut-être déjà plus là le jour où cela arrivera.
- Vous ne vous en tirerez pas, Huayan !
- Taisez-vous. Je suis à ce poste car je travaille mieux que vous. Vous êtes capable de maîtriser les tâches basiques, je suis plus efficace dans les cas compliqués. Maintenant laissez mes subordonnés et ceux des autres travailler. Vous faîtes perdre du temps à la Shin-Ra. »
Je n’ai pas besoin d’autres mots pour la faire partir. Telle une furie, elle jette un stylo par terre et s’en va. Enragée, elle est rouge. On dirait une grosse tomate mécontente. Pauvre vieille fille. Je regarde derrière moi, tout le monde retourne au travail. Ils savent qu’avec moi, il va falloir travailler jusqu’à 20h. Au moins. Moi, je vais me préparer pour le reste de ma soirée. Je rejoins ma cabine et je sors une carte du vaisseau. J’en ai toujours une sous la main pour éviter de me perdre. Ce n’est pas légal, mais je ne crains pas grand chose. Allée J, corridor 3, porte B-44… Trouvée ! C’est effectivement bien caché, dans une allée peu fréquentée des étages inférieures. Je patiente un moment, j’enlève mes bijoux. J’attends que l’heure du dîner commence. Moins de témoins potentiels dans les couloirs. Après 20h30, je sors de ma cabine et me dirige vers les étages inférieurs. Je m’éloigne de plus en plus du tumulte des personnels circulant dans le Vaisseau. Je me dirige vraiment vers les étages inférieurs, là où il y a les archives, le traitement des déchets, la cantine des salariés et des réserves de je-ne-sais-quoi. Je vous avoue que je ne fouille pas le vaisseau tous les jours. Sur mon chemin, je croise Francis qui tique immédiatement sur moi et m’interpelle dans un angle mort des caméras.
« On se balade sans Francis Madame Song ?
- Je vais manger à la cantine.
- Madame, ne me prenez pas pour une pimbêche avec un 95 D : je déteste la bouffe de la cantine donc vous ne l’aimez certainement pas non plus. Je viens avec vous. Laissez-moi vous aider.
- Soit, mais nous devons être comme des fantômes.
- Après notre rendez-vous, j’ai trouvé le poste de sécurité du corridor 3. On a qu’à rentrer dedans et effacer les enregistrements vidéos après que vous soyez passée.
- Allez-y seul, occupez vous de la sécurité, moi je vais directement à la porte B-44.
- C’est parti ! »
Je lui lâche un petit sourire et je reprends mon chemin. Bien que cet homme soit un véritable goret, je commence à réellement apprécier sa loyauté presque sans faille. J’aime les gens loyaux. Un soldat loyal ne vous abandonne jamais, que vous soyez au sommet de votre gloire ou au fin fond d’un gouffre ; un individu lambda ne vous accompagne que quand il y trouve un intérêt personnel. Je poursuis ma route. Je remarque un garde en faction dans le corridor 3. Aïe. Les choses se compliquent, il va falloir m’en débarrasser en douceur. Qu’est-ce que je peux bien faire ? L’assommer ? Mais avec quoi ? Non. Le tuer ? Non, ça n’a pas de sens. Ah, je sais.
Je me plaque contre le mur, dans un angle et j’attends qu’il me tourne le dos pour repartir dans l’autre sens du corridor. J’en profite pour me concentrer. Une fois prête, j’envoie tout sur lui.
Le soldat en faction s’arrête et s’appuie contre le mur de gauche. Il vacille un peu se faisant. J’en profite pour prendre l’apparence faciale et capillaire de la vieille pie de Caroline, au moins si le soldat se rappelle de quelque chose, ce sera son vieux visage décrépit. Il vomit abondamment sur le sol. Formidable, un soldat qui a le vertige de base. Mon pouvoir a bien fonctionné dites moi, c’est une cible parfaite. Je m’approche de lui.
« Vous allez bien, monsieur ?
- N… » tente t-il de dire avant de revomir un coup.
Vous me connaissez, j’en profite pour prendre son badge, attaché à sa ceinture. Je le fais le plus adroitement possible, pour éviter qu’il s’en rende compte, mais vu son état, j’en doute.
« Vous devez aller à l’infirmerie ! » dis-je, faussant mon intérêt pour lui ou même sa santé.
Je l’aide à se relever, il vacille toujours encore un peu, mais il se remet. Je lui indique l’infirmerie de l’allée A, corridor 1. Rien que d’y aller va lui prendre une demi-heure. Je dois faire vite, il s’éloigne et je fonce vers la porte B-44 pour la déverrouiller avec son badge. J’ai bien fait de lui prendre, je n’ai vraiment pas accès à cette salle en temps normal. J’entre dans une salle très sombre, avec de nombreuses rangées d’étagères métalliques et de cartons avec des centaines de milliers de pages. Il va falloir être méthodique. Je verrouille la porte derrière moi de l’intérieur. J’entends un haut-parleur qui crépite dans la salle, puis la voix de Francis s’anime :
« Madame Song, c’est pas pour faire ma petite chatte mais va falloir se bouger. »
Merci Francis, cela m’aide beaucoup. Je me dirige vers l’allée avec la lettre « H », comme Haojun ou Huayan. J’ouvre des dossiers, des classeurs. Je vois des noms, des informations, même des rapports de missions qui ne datent pas d’hier… Je ne trouve rien, je fouille l’allée « Z » comme pour la première lettre du nom de famille de mon mari. Je ne trouve toujours pas. Je m’agace et je commence à tout fouiller en jetant les informations qui ne m’intéressent pas au sol. Rapidement, le sol est recouvert. Cela doit bien faire maintenant vingt minutes que je ne trouve absolument aucune mention de mon mari. C’est impossible. Je finis par trouver un carton contenant un classeur avec des informations assez vieilles sur la Terre des Dragons. Cela pique ma curiosité et je regarde au cas où.
Je trouve enfin quelque chose.
Il est inscrit que mon mari a eu une rencontre avec Jiawei Dajisi – la Haute-Prêtresse Jiawei- peu avant sa disparition dans son temple. Qu’est-ce qu’il a bien pu aller faire chez cette vieille sorcière ? Jiawei Dajisi est la haute prêtresse en charge d’un culte local au sein de ma ville : le culte de He Shen, le Dieu de la Rivière. Bien qu’elle tente de se faire passer pour inoffensive et gâteuse, les gens avec un minimum de jugeotte se rendent compte qu’elle est aussi rusée qu’un renard et qu’elle participe activement aux luttes de faction dans ma ville. Qu’est-ce qu’Haojun a bien pu aller faire avec elle ? Je remonte encore plus loin dans les rapports, et je vois qu’il l’a rencontré plusieurs fois sur une longue période, à peu près une fois toutes les trois semaines. Pourquoi faire ? C’est une piste, je continue de lire, mais je ne trouve plus rien. Comme si cette page est tout ce qu’il restait du passage de mon mari dans la Shin-Ra. Ou alors, je n’ai pas tout bien fouillé. Je prends la page et je la range dans ma poche, c’est toujours ça de pris. Je retourne fouiller un peu et je finis par tomber sur autre chose, tout aussi intéressant : un dossier à mon nom.
Je l’ouvre, piquée par la curiosité de savoir ce que la Shin-Ra inscrit sur moi dans mon dos. Il y a mes différents faits d’armes, mes missions, mes réussites, mes échecs, mon parcours et une partie de mon passé. Bien que je n’ai rien à cacher – ou presque- sur mes missions au sein de la Shin-Ra, les informations sur ma famille, mon passé et mon mari ne me conviennent pas. Je prends avec moi les pages concernant ma famille, mes liens amicaux en Terre des Dragons et mon rapport psychologique. La Shin-Ra n’a pas besoin d’autant de détails. Je range tout dans ma poche en froissant un peu le tout, je n’ai pas le luxe du temps malheureusement.
« Madame Song, le garde sort de l’infirmerie d’où vous l’avez envoyé. Va falloir vous dépêcher de sortir. Retournez dans votre cabine, on se parlera de tout ça plus tard. Je vais tout effacer, vous inquiétez pas, personne ne saura ce qui s’est passé ici pendant les quarante-cinq dernières minutes. »
Je lui fais signe de la main pour lui indiquer que j’ai bien entendu son message. Je renverse un peu tout n’importe comment, faisant voler un nuage de poussière dans les airs. Je reprends la face de Caroline et je sors de cette salle poussiéreuse et encombrée. Je me dépêche de courir pour m’éloigner au plus vite et rejoindre mon appartement. Francis a raison, nous devons nous éviter jusqu’à la prochaine mission. Je ne veux même pas savoir comment il a fait pour accéder à la salle, même si j’imagine qu’il a dû assommer le pauvre soldat qui était derrière l’écran. Je rejoins ma cabine, et je décide de sortir toutes ces feuilles volantes de mes poches. Je les relis, tentant de voir quelque chose que j’aurai manqué. Je prends toutes les feuilles concernant ma personne et je les déchire, les réduit en tout petit bout que je jette à la poubelle. Ce sera ça de moins. Pour la page concernant mon mari, je la plie soigneusement et la cache dans un compartiment secret sous ma boîte à bijoux. Il y a assez de place pour mettre une feuille pliée en deux. Je me fais monter un plateau repas de qualité et je dîne seule, dans un silence dont le seul les routes interstellaires ont le secret, pensant à mon mari. Ce n’est pas la joie qui me traverse comme vous devez l’imaginer. Cette sensation de mystère, cette atmosphère pesante, cette vie de labeur me condamnent à errer inlassablement entre les mondes, mes envies, mes souvenirs et mes devoirs en quête d’un homme peut-être vivant mais que je ne retrouverai jamais. Qu’est-ce qui a bien pu arriver ? Qu’est-ce que j’ai raté ? Qu’est-ce que j’ai oublié ?
Je m’allonge sur mon lit, pensive. Je me demande si mon esprit trouve encore un moyen pour se reposer. Entre mes rêves étranges et ma vie de femme intrépide travaillant pour la Shin-Ra, il est très sollicité. Je soupire un grand coup. Je décide de laisser aller mon chagrin. Parfois, nous devons relâcher ce qui nous pèse sur l’âme, à l’abri des regards et des jugements. Je commence à murmurer une chanson. Lentement, du bout des lèvres, brisant de très peu le règne du silence. Je m’endors sur ces paroles.
« Qui n'a connu
Douleur immense
N'aura qu'un aperçu
Du temps
L'aiguille lente
Qu'il neige ou vente
L'omniprésente
Souligne ton absence
Partout
Si j'avais au moins
Revu ton visage
Entrevu au loin
Le moindre nuage
Mais c'est à ceux
Qui se lèvent
Qu'on somme « d'espoir »
Dont on dit qu'ils saignent
Sans un au revoir, de croire
Et moi pourquoi j'existe
Quand l'autre dit « je meurs » ?
Pourquoi plus rien n'agite
Ton cœur ? »
Où es-tu mon Amour ?
Crédits de la chanson : « Si j’avais au moins » de Mylène Farmer.