Le temps commençait à décliner, les arbres perdaient leurs feuilles tout en déposant un tapis orangé sur les pavés de la Citadelle. Emmitouflé dans une lourde cape, le Paladin-en-Chef arpentait les rues pour se rendre jusqu’au Château du Roi Stéphane, cela faisait un certain temps qu’elle n’avait pas rejoint l’endroit. Depuis qu’elle avait refusé de s’occuper d’une tâche que le Primarque lui avait confiée.
Dire qu’elle regrettait serait une erreur, un mensonge à son âme. C’était autre chose, elle éprouvait des remords. Elle avait agi par égoïsme en refusant, faisant passer les intérêts du Domaine Enchanté en priorité.
Le Haut-Prêtre Martin avait reconnu Matthew comme l’envoyé d’Étro, bien d’autres prêtres avaient fait la même remarque par la suite. En tant que croyante et dirigeante de l’ordre des Paladins, ses paroles devaient être des ordres. En aucun cas Pentaghast n’avait le droit de contredire celles-ci. D’autant qu’elle devait son rôle nouveau au Sanctum par lui. Toutefois, avait-elle le devoir de refuser pareil demande ? Tels étaient les doutes qui préoccupaient la dame.
Pouvait-elle demander de l’aide aux prêtres ? Elle l’ignorait. Le père Gregor aurait surement rassuré Cassandra, lui contant qu’elle avait fait le bon choix. Sauf que cet homme était doué pour dire ce que ses paroissiens voulaient entendre, et non ce qu’il fallait réellement dire. Qu’importe le prêtre de l’autre côté du confessionnal, elle n’aurait jamais la réponse à ses questions. Du moins, pas celle qu’elle voudrait entendre afin de taire les songes de son esprit.
Cependant, il y avait bien quelque chose sur cette terre qui parvenait à apaiser l’ancienne garde. Il s’agissait de l’espoir et du désir ardent de vivre.
Qu’importe l’endroit ou se posait son regard, elle pouvait l’observer dans les rues de sa ville. Habitants et hommes de foi oeuvraient main dans la main pour que les tours des bâtiments resplendissent de nouveau, la famine n’était plus à craindre et le coeur des gens étaient apaisés pour l’heure. Cassandra se risquait même à dire qu’elle avait entendu des rires d’enfants sur le long chemin menant à la place fortifiée. Il n’y avait pas d’ombre sans lumière, et celle-ci reprenait ses droits sur la Citadelle.
— Dame Pentaghast ?
Elle s’arrêtait dans sa marche, tournant sur elle-même pour faire face à son interlocuteur. Il s’agissait de Garnac, transportant par l’anneau une cage recouverte d’un drap. Répondant par la politesse d’un hochement de tête, le commandant de l’ordre s’approchait de celle-ci, un sourire aux lèvres.
— Garnac, c’est un plaisir de vous retrouver.
— Inutile de faire autant de politesse avec moi, Haegel n’est pas présent pour vous reprendre. Bref, j’ai ce que vous m’avez ordonné.
Il levait alors son bras, présentant l’objet au Paladin-en-Chef avant d’enlever le voile, divulguant un jeune épervier. Il était fixe sur un perchoir, un masque de cuir sur la gueule. La dame souriait en fixant l’animal au travers des barreaux, d’un ton enjoué, elle reprenait les paroles du Paladin.
— Je n’ai pas le souvenir d’avoir donné tel ordre, n’était-ce d’ailleurs pas un service que je vous demandais…?
— Il est vrai ! Après tout, osez me dire que vous n’auriez rien dit dans le cas où j’avais refusé ?
— Vous n’êtes pas la moitié d’un idiot. Merci de m’avoir rendu ce service, il ne sera pas oublié.
Il souriait alors, laissant Cassandra prendre la cage en main avant d’esquisser un sourire et se retourner avant de partir.
— Ça tombe bien, j’ai besoin de temps pour m’occuper de ma femme. Vous ne verrez aucun inconvenant à ce que ma journée et celle de demain soit libre.
— N’abusez pas, Garnac. Vous êtes attendu demain, nous connaissez nos objectifs au Château de Maléfique et nous nous devons d’accomplir cette tâche.
— Dommage… J’aurai tenté le coup !
Il s’écartait alors, laissant la dame avec l’oiseau toujours aveuglé. Cassandra quittait alors le centre du chemin, posant la cage sur un tonneau longeant le mur d’une bâtisse avant d’ouvrir les grilles et attachant le fin fil de cuir noué à la patte de l’épervier sur son gantelet d’acier. Un sourire parcourait le visage de la dame, un brin exaltée en observant l’oiseau de proie. Cela lui rappelait de bons souvenirs, les parties de chasse avec son père et son frère dans les forêts bordant la citadelle.
Elle avait été gracié par le Primarque en accédant au titre de Paladin-en-Chef, dorénavant, elle voulait renouer avec son passé. Oublier la nuit de Swain, l’emprisonnement et tout ce qui l’avait tenu à l’écart de ce pour quoi elle vivait et luttait. Elle désirait vivre.
L’épervier serait la matérialisation de cette promesse, de cette envie. Délicatement, elle défaisait le noeud de la cagoule en cuir pour libérer l’animal des ténèbres. Il lui fallut de longues secondes pour s’habituer à la clarté, tournant la tête en tous sens jusqu’à déployer ses maigres ailes et se repositionner sur le gantelet. Elle se revoyant dix ans en arrière, la jeune fille qui ne doutait pas de ce qui lui arriverait une fois l’âge adulte atteint. Elle avait perdu cette innocence, elle le regrettait.
— En mémoire de mon frère, tu t’appelleras Anthony.
Pentaghast souriait, caressant la tête de l’animal du dos de son index un long moment. Il semblait apprécier le geste, fermant ses paupières délicatement jusqu’à ce qu’elle arrête. Ensuite, elle détachait la lanière de cuir à son gantelet avant de soulever sa main par-dessus son épaule, invitant l’animal à s’envoler.
Ce geste de fauconnerie, c’est son père qui lui avait appris. Et alors, l’épervier battait des ailes et s’envolait dans les cieux, planant en cercle au-dessus du Paladin-en-Chef jusqu’à ce qu’elle présente une nouvelle fois son gantelet.
Il fallut plusieurs minutes pour que l’animal se décide à revenir se poser se la main de l’ancienne garde. Néanmoins, la dame félicitait l’acte en caressant une nouvelle fois l’épervier. Rapidement, elle jetait la cagoule dans la cage et fermait celle-ci avant de la prendre de la main droite et continuer ainsi sa route jusqu’au Château du Roi Stéphane, invitant une nouvelle fois l’oiseau à prendre son envole autour d’elle. Il n’avait commis aucun crime, sa place n’était pas dans une cage. Il était dans les cieux, virevoltant autour de sa nouvelle maîtresse, du moins, jusqu’à ce qu’elle décide du contraire.